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Catégorie voyageLa panne. (Petit conte.)

17/05/2019

La panne. Suite à une question de Pierre Verneret.



Enfin nous atteignîmes cahin-caha l’aire de repos de l’autoroute. Le véhicule présentait déjà depuis quelque temps des marques de faiblesse.

D’aucuns estimèrent alors que les pannes possibles ou avérées, la complexité du véhicule, le coût de l’entretien voire la conduite à tenir envers les auto-stoppeurs, nécessitaient que l’on abandonnât ce véhicule dispendieux et incommode et proposèrent de continuer...à pied !

D’autres à l’inverse, tout en admettant les faiblesses auxquelles il faudrait remédier, préconisèrent la poursuite du voyage, l’aire de l’autoroute n’étant pas un but en soi. Et ils firent valoir que depuis le départ, beaucoup avait été fait pour le confort et la sécurité des passagers et qu’après tout continuer c’était croire au progrès et à la liberté.

Que pensez-vous qu’il arrivât ?

Bientôt, nous nous rendîmes compte que nous n’étions pas seuls. De nombreux véhicules étaient en stationnement, et leurs propriétaires semblaient avoir les mêmes soucis que nous. Un courant de colère passa et la révolte gronda. Des esclaves, voilà ce que nous étions devenus. Des culs-de-jatte incapables de nous passer de notre véhicule, même pour nous rendre aux toilettes publiques rendues obligatoires depuis peu.

Beaucoup sortirent leur smart phone pour appeler famille ou amis. En vain. Le réseau était quasi inexistant, et l’unique cabine publique hors service depuis longtemps. Si tout le monde s’accordait pour trouver que notre liberté restait notre bien le plus précieux, bien que souvent écornée au nom de la sécurité, le progrès par compte nous avait joué de bien mauvais tours. Mais il nous restait une chance : ce n’était pas « notre » progrès. A nous de faire en sorte que chaque avancée technologique ne serve pas d’abord le producteur de biens dans une course sans fin à la croissance au détriment de notre planète, mais serve d’abord l’utilisateur final, et dans la mesure où le résultat des urnes était plus favorables, serve aussi à la collectivité.

De grands idéalistes, voilà ce que nous étions. Mais nous nous aperçûmes que les grands capitaines d’industrie étaient logés à la même enseigne que nous, bloqués dans leurs luxueuses limousines. Si la situation était amenée à durer, leurs privilèges seraient bien trop cher payés, s’il en restait. Ils se réunirent et s’accordèrent pour réduire les emballages plastiques et favoriser les emballages durables. C’était un début. Il restait encore l’Administration, dont l’oreille suivait trop souvent le chant des sirènes aux harmonies financières. Mais le ton était donné, bientôt l’Ena serait fermée.

Il s’ensuivit une période d’intense réflexion. On entendit parler de revenu minimum généralisé pour tous, d’échelle d’écart de revenu ramené au facteur douze, l’excès de revenus étant source d’excès de consommation donc de pollution…Un nouveau monde allait devenir possible. Il restait à convertir les cœurs. L’antique religion qui avait accompagné et forgé notre civilisation avait perdu bon nombre de ses adeptes, au profit des adorateurs du Veau d’Or qui sacrifiaient tous les samedis leurs maigres économies dans les temples de la consommation. Cependant, une certaine nostalgie restait, au point de permettre d’ouvrir largement les portefeuilles lorsque le symbole même de celle-ci, Notre Dame de Paris brûla, ce qui permit sa reconstruction dans les délais pour ne pas ternir l’éclat de la grand messe cyclique des Adeptes du Sport.

Puis l’habitude reprit ses droits. Mais plus personne, à part certains chefs d’états obtus, ne pouvait ignorer la menace qui planait sur l’avenir, non seulement de notre civilisation, dont Paul Valèry avait eu l’intuition, mais de notre humanité entière. Celle-ci en effet, telle les campagnols ou les criquets, était menacée d’extinction par son activité même. Le climat se détraqua, et le soleil, anciennement adoré par certains peuples fut abhorré. De nombreuses espèces disparurent. La nourriture se fit rare, des épidémies nouvelles se répandirent causant des ravages dans les populations, et des guerres éclatèrent pour la suprématie de l’eau.

Mais l’humanité survécut et la vie continua.

Petit conte écrit en l'hommage d'un ami décédé.

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